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J’ÉCRIS POUR BÂTIR

DES MYTHES DE RÉCONCILIATION

 

Entretien avec Amin Maalouf

 

Cet âge où les hommes de toutes les origines vivaient côte à côte, dans Les échelles du Levant, est-ce une réminiscence d’autrefois, ou est-ce une préfiguration de l’avenir ? Telle est la question que se pose l’écrivain libanais, Amin Maalouf, dans son nouveau roman. Les Échelles du Levant publié aux éditions Grasset, met en scène la vie d’un homme qui lutte pour ses idéaux dans un monde déchiré par la violence et les luttes intercommunautaires. M. Maalouf à bien voulu nous conter son propre itinéraire de journaliste et de romancier. Il nous confie, également, ses réflexions sur quelques sujets évoqués dans son dernier roman.

***

MON PÈRE ÉTAIT JOURNALISTE ET POÈTE

Je suis né à Beyrouth, à Basta. Ma famille a aussi vécu à Ras-Beyrouth, du côté de la rue Jeanne d’Arc. J’ai fait mes études chez les pères Jésuites, en langue française... Pourtant, ma famille a été formée chez les Américains. Je n’ai pas étudié le journalisme, mais la sociologie, à l’école des Lettres... Aujourd’hui, je me demande pourquoi je n’ai pas fait de l’histoire, puisque c’est ce domaine qui m’intéressait le plus.

Pourquoi avoir opté pour le journalisme ?

Je viens d’une famille de journalistes. J’ai fait des études pour améliorer mes connaissances générales et un peu parce que j’avais envie d’avoir une expérience universitaire... Mais mon père était journaliste et il y avait d’autres journalistes dans la famille. Je m’intéressais à cela depuis mon enfance : j’ai vécu dans ce milieu. Au début, j’écrivais des articles deci, delà ; puis, j’ai commencé à travailler au Nahar de façon régulière en avril 71, à vingt-deux ans. Je m’occupais, essentiellement, de politique internationale. J’ai beaucoup voyagé à l’époque : je suis allé en Inde, au Bangladesh, au Vietnam, en Ethiopie, en Somalie, au Kenya, en Tanzanie, au Maghreb... Après mon départ pour la France, j’ai aussi visité l’Amérique du Sud...

Qu’avez-vous retenu de toute cette diversité ?

On accumule beaucoup d’expérience des rencontres, des paysages nouveaux, de nouvelles cultures, des villes diverses... On ne sait pas toujours exactement à quoi cela sert, mais ces expériences réapparaissent toujours dans nos écrits, à travers des lieux, des personnages, des sensibilités.

IL FAUT SAVOIR ÉCOUTER...

 

Peut-être aussi une certaine philosophie de la vie... Dans votre dernier livre, vous écrivez : « Les bons maîtres sont ceux qui enseignent des vérités différentes. »

Oui, il faut savoir écouter des voix qui ne disent pas toujours des choses attendues, qui ne vous répètent pas des vérités admises, mais d’autres vérités qui sont peut être plus contestées et aussi plus utiles, plus judicieuses... C’est vrai que j’ai toujours aimé voyager, rencontrer des gens. J’aime écouter, observer, moins parler. Après, j’écris les choses qu’on me raconte. On butine; puis, cela ressort par un processus qu’il ne faut pas trop essayer de comprendre, qu’il faut laisser faire.

Votre longue expérience journalistique a-t-elle influencé vos romans ?

Le journalisme est présent dans tout ce que je fais : parfois, à travers une certaine manière de raconter; parfois, par le fait que je m’adresse à un public assez large, le fait de mener des enquêtes… Il y a, aussi, un certain intérêt pour les événements, les actualités, qui transparaît ça et là dans mes romans et vient, lui aussi, du journalisme.

J’ESSAYE DE BÂTIR QUELQUE CHOSE, OÙ QUE JE SOIS

Je vis en France depuis vingt ans. La guerre a commencé en avril 1975 et je suis parti en juin 1976. J’ai donc passé les premiers quatorze mois de guerre au Liban. Je ne pouvais plus aller normalement au travail, puisque pour aller de ma maison à mon bureau, il fallait traverser des zones dangereuses où il y avait souvent des francs-tireurs. Quand j’allais au travail, je devais donc dormir dans un petit hôtel à côté du bureau, pendant plusieurs jours... Ce n’était pas une vie normale et à un moment donné, j’ai décidé de m’éloigner...

Comment avez-vous survécu en France, les premiers temps ?

J’y ai travaillé en tant que journaliste. J’ai commencé par envoyer des articles à des journaux divers; puis, j’ai été engagé par le groupe de presse Jeune Afrique. J’ai, d’abord, écrit pour un mensuel : Economia; puis, pour Jeune Afrique même. Après quoi, j’ai écrit pour An-Nahar arabe et international qui était édité à Paris pendant une période mais, aussi, dans d’autres journaux. J’ai continué à avoir une activité de presse intense jusqu’en 85, lorsque j’ai décidé de me consacrer, entièrement, à mon premier roman... Cela fait dix à douze ans que je me dédie à mes livres.

Etes-vous bien accueilli, en France, en tant que Libanais ou vous y sentez-vous étranger ?

Je ne suis étranger nulle part. C’est une question de choix. Mais il y a une longue tradition d’immigration au Liban. J’ai décidé une fois pour toutes que cette question n’existait pas pour moi. Je suis un être humain qui voyage à travers le monde, pose ses bagages et tente de bâtir quelque chose là où il est établi.

UN LIVRE EST UNE RENCONTRE

Vous basez vos romans sur des faits et personnages historiques. Le narrateur de votre dernier roman est « un passionné de l’Histoire »...

Je vois, d’abord, l’histoire comme une réserve inépuisable de personnages, d’événements, de paraboles, d’époques à redécouvrir. Bien sûr, on choisit dans l’Histoire ce que l’on a envie de choisir : on pourrait démontrer n’importe quoi à partir d’elle. Je ne pense pas qu’elle offre un enseignement absolu, mais c’est un matériau important, parce que c’est la mémoire, la profondeur des sociétés... Parce que rien de ce qui existe aujourd’hui, ne serait ce qu’il est, s’il n’y avait pas derrière, toute une épaisseur historique. Il n’y a pas d’Histoire « objective » au sens propre du terme. Je pense que chaque personne a une mémoire qui lui est propre et qui donne à un événement une valeur qui n’est pas la même que celle des autres.

Pourquoi raconter sa propre interprétation du monde ?

Quand on raconte, on contribue à enrichir la mémoire des autres. Raconter des histoires fait partie de notre activité quotidienne : chacun de nous raconte d’une manière ou d’une autre. C’est vrai que j’en ai fait un peu ma profession ; et raconter l’Histoire, telle que je la vois, c’est transmettre un certain nombre de connaissances, de valeurs, d’attitudes, de sensibilités... Et cela fait partie, à mes yeux, de la fonction du roman.

Pensez-vous que l’écrivain puisse influer sur le cours des choses ?

Après avoir lu un livre, je ne suis plus le même. C’est une rencontre... Il y a des choses sur lesquelles on s’arrête, on réfléchit, on réagit. Mais je n’écris pas pour susciter des réactions particulières. Il faut exprimer ce que l’on a envie d’exprimer à chaque moment. Si mon livre exerce une influence quelconque, je préfère que ce soit sur le long terme : je ne recherche pas d’effet immédiat. Quand j’écris, je fixe mes sensibilités du moment, mon état d’esprit, mes centres d’intérêt. Dans tel livre j’évoquerai la coexistence en Méditerranée; dans un autre, ce sera les rapports difficiles entre la science et l’éthique... Il est donc essentiel que l’on puisse s’exprimer librement... Le droit d’être avant le droit de parler ! On peut ne pas avoir envie de parler... Le droit d’être ce que l’on a envie d’être et non ce que les autres voudraient que l’on soit.

J’ÉCRIS POUR BÂTIR DES MYTHES DE RÉCONCILIATION

Dans Les Echelles du Levant, vous dites : « L’avenir est fait de nos nostalgies, de quoi d’autre... »

On n’invente pas l’avenir à partir de rien. On le reconstitue à partir des bons temps du passé, à partir de choses que l’on a aimées dans son propre passé : une sorte de paradis perdu. Je pense que cela vient naturellement... Le fait d’avoir connu une époque de véritable coexistence, comme je l’ai connue au Liban, m’a marqué. Ce n’est pas par hasard que je continue à parler constamment de coexistence, de vie en commun, quelles que soient les vicissitudes de l’histoire.

Votre dernier roman prône la coexistence... Pensez-vous que le Liban parviendra à recouvrer son unité d’avant-guerre ?

Le Liban est un pays où il y a une longue tradition de réconciliation. Je crois que les Libanais de toutes les communautés ont envie de vivre ensemble, pleinement. S’ils en avaient vraiment le choix, les gens voudraient revenir à une époque de coexistence. On a trop tendance à penser qu’il y a une fatalité de la division, une fatalité de ces appartenances affirmées de façon exclusive et nous devons, par un travail patient, dire qu’il faut souhaiter autre chose. Un des rôles essentiels de l’écriture, consiste à développer des mythes positifs. Je puise dans l’Histoire le matériau nécessaire pour bâtir des mythes de rencontre, de réconciliation. À mes yeux, l’Andalousie d’autrefois nous offre une image positive des rapports entre les trois religions monothéistes et une image alternative du monde arabe. Omar Khayyam est, également, un mythe constructif qui mérite d’être remis en avant. Ces mythes permettent d’envisager un avenir dépourvu de morcellement et de conflit.

 

JE SUIS POUR LA PAIX

Pourtant, loin d’être réconcilié, le héros des Échelles du Levant est isolé par son engagement pour la tolérance, puisqu’il semble un « fou » aux yeux de sa propre société.

Vous savez, la tolérance est un concept qui, lorsqu’il demeure théorique, est accepté de tous. Lorsqu’on en vient au détail, pourtant, chacun tend à rejoindre sa tribu. Une personne qui prône la tolérance se trouve souvent isolée... Mais la tolérance n’est pas une opinion du moment, c’est une attitude à l’égard de la vie. C’est une position de principe qui vient du fait que je suis libanais et que je vis dans un pays où cohabitent diverses communautés. Il ne s’agit pas d’effacer leurs différences qui sont réelles : il s’agit de vivre ensemble.

Peut-être qu’une manière de parvenir à cela, c’est de voir la différence comme une richesse, de partager nos mythes et d’en bâtir de nouveaux, en commun...

Mais je pense que les gens ont beaucoup plus en commun qu’on ne le dit. Le fait d’appartenir à une communauté particulière ne résume pas l’identité de quelqu’un. Je crois que l’identité d’une personne est faite de nombreuses appartenances et qu’aucune de ces dernières ne doit prendre une place tyrannique par rapport aux autres.

Que pensez-vous du processus de paix ?

Je suis pour la paix et je pense que cette région entière a trop souffert... Le Liban, en particulier, a souffert et il est temps d’arrêter ces souffrances, d’envisager l’avenir d’une autre manière. Nous pouvons coexister, à condition de vivre dans un environnement de liberté et de justice, où chaque être humain est apprécié à sa valeur propre, non en fonction de ses appartenances... Je crois que cette croyance est liée à mes origines : quand on a vécu au Liban, la première religion que l’on a, c’est la religion de la coexistence.

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