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Avant le Big Bang[*]

 

Paul Davies[†]

Dans la mesure où le temps et l’espace n’ont vu le jour qu’avec le Big Bang, la question de savoir ce qui s’est passé avant n’a, pour les cosmologistes, aucun sens. Mais pourquoi le temps et l’espace sont-ils brusquement apparus ? Et d’où les lois de la physique proviennent-elles ?

 

En deux mots :

Selon la théorie du Big Bang, notre Univers tire son origine de cet instant singulier où, sans cause préalable, une « fluctuation quantique » a fait émerger un espace-temps, son énergie et sa matière, telles que nous l’observons aujourd’hui. Auparavant, il n’y avait « rien », comme il n’y a rien au nord du pôle Nord. Le temps lui-même serait fini, mais n’aurait pas d’origine, ayant progressivement adopté les propriétés qui lui sont propres et abandonné celles des dimensions spatiales. Pour tenter de trouver la chaîne explicative du monde, les physiciens partent des lois physiques qu’ils posent comme intemporelles et « extérieures » à l’Univers, mais leur nature profonde est un sujet d’étude dévolu aux métaphysiciens.

 

La plupart des gens savent aujourd’hui que l’Univers est né d’un Bang, un « Big Bang ». Mais sitôt qu’ils tentent de visualiser cet événement, une question délicate se pose : Que s’est-il passé avant ? Comme l’idée d’un événement survenant sans cause préalable nous est étrangère, la question semble demander une réponse. Et pourtant, nombre de cosmologistes insistent sur le fait que la question de savoir ce qui s’est passé avant le Big Bang n’a pas de réponse, non pas parce que l’origine de l’Univers doit à jamais se soustraire à l’intellect de l’homme, mais parce que la question elle-même est dépourvue de « sens ».

C’est là un sujet qui ne laisse pas indifférent. Les livres et conférences sur le Big Bang sont souvent l’occasion de débats passionnés. Les religieux voient dans les efforts que font les scientifiques pour expliquer la naissance de l’Univers une manœuvre pour abolir le Créateur. Les athées ne sont pas moins inquiets, car la notion d’un Univers naissant à partir de « rien » leur paraît aussi suspecte que la création ex nihilo que prône le christianisme.

Peu de cosmologistes s’opposent aujourd’hui à l’idée que l’Univers a bien une origine survenue à un instant précis dans le passé. L’autre possibilité – un Univers qui a de tout temps existé sous une forme ou sous une autre – butte sur un paradoxe évident. Le Soleil et les étoiles ne peuvent briller éternellement : tôt ou tard, leur carburant sera épuisé et ils périront. Cela est vrai de tous les processus physiques irréversibles : ils requièrent une énergie qui n’est disponible dans l’Univers qu’en quantité finie, de sorte qu’ils ne peuvent durer une éternité. C’est un exemple de la seconde loi de la thermodynamique qui, appliquée au Cosmos tout entier, prédit qu’il est voué à une dégénérescence et à un déclin vers un état d’entropie ou de désordre maximal. Cet état n’étant pas encore atteint, l’Univers ne peut pas avoir existé depuis un temps infini.

Aux approches de l’origine de l’Univers, notre espace-temps ne peut se décrire comme celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Malgré ce lourd handicap, les physiciens tentent d’appréhender ce moment mythique. Le Sens des réalités, René Magritte, 1963.

Fort heureusement, nous disposons d’autres supports que le seul raisonnement théorique pour imputer à l’Univers une origine bien déterminée. Trois types d’observations différents offrent une preuve directe en faveur du Big Bang. La raison la plus immédiate de croire que tout est né d’une gigantesque explosion est le fait que l’Univers est toujours en expansion aujourd’hui : les galaxies s’éloignent les unes des autres. En passant le film à l’envers, on estime que le Big Bang s’est produit voilà 10 à 15 milliards d’années. La datation radioactive attribuant un âge de 4,5 milliards d’années à la Terre renforce encore ce scénario. Le rayonnement fossile bien particulier dans lequel baigne le Cosmos tout entier, et que l’on interprète très bien comme les restes du rayonnement chaud émis 300.000 ans après le Big Bang, en constitue la seconde preuve. Le troisième argument, s’il est moins direct, n’en est pas moins convaincant. Il se réfère à l’abondance relative des éléments chimiques, que l’on peut évaluer de façon correcte en termes de processus nucléaires dans la phase chaude et dense qui a suivi le Big Bang[‡].

Le bruit de fond cosmologique à 2,7 K, dans lequel baigne tout l’Univers, est interprété comme le reste du rayonnement chaud émis 300.000 ans après le Big Bang, quand la matière et le rayonnement se sont découplés. Cet écran opaque nous empêche d’observer les événements antérieurs. Carte du rayonnement fossile obtenue grâce au satellite COBE. On a ainsi pu vérifier la présence d’infimes fluctuations dans le rayonnement fossile.

Pas d’origine

La plupart des gens acceptent de bon gré le concept scientifique du Big Bang comme origine de l’Univers. Mais sonder l’événement originel lui-même tire la sonnette d’alarme : « Qui se soucie de ce qui s’est passé une demi-seconde après le Big Bang ? », comme l’écrivait un journaliste. « Qu’en est-il une demi-seconde avant ? » Les esprits critiques aiment poser la question aux scientifiques qui semblent par trop triompher de leur capacité à démystifier la nature. Il n’empêche que dans la théorie standard du Big Bang il n’existe pas d’instant tel « une demi-seconde avant ».

Afin d’expliquer ce que j’entends par ce constat bien mystérieux, je dois tout d’abord démentir une idée fausse, mais très répandue, sur la nature du Big Bang. Contrairement à ce que l’on croit généralement, il ne s’agit pas de l’explosion d’un grumeau de matière comprimée dans un vide préexistant. À chacune de mes conférences sur le sujet, des auditeurs perplexes me posent invariablement les mêmes questions : Qu’est-ce qui a provoqué le Big Bang ? Où se situe le centre de l’explosion ? Où se trouve la frontière de l’Univers ? Si elles paraissent pertinentes, ces questions reposent en fait sur une image de l’Univers en expansion totalement erronée. La meilleure façon de saisir ce qu’il en est vraiment est de s’imaginer que l’Univers est en expansion, non pas parce que les galaxies s’éloignent toutes d’un centre commun, mais parce que l’espace compris « entre » les galaxies s’étire ou enfle. L’idée d’un espace qui se distend ou qui puisse être déformé est une prédiction de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Elle a été suffisamment testée pour que tous les cosmologistes sérieux l’acceptent – y compris les rares qui contestent encore le Big Bang aujourd’hui. Selon la relativité générale, le temps et l’espace ne forment pas une enceinte statique dans laquelle l’Univers évolue, mais sont partie intégrante de son champ gravitationnel. Ce champ se manifeste comme la déformation ou la « courbure » de l’espace-temps. Dans le cas qui nous intéresse ici, cette « déformation » prend la forme d’un étirement progressif de l’espace.

Un ballon dont la surface est encollée de petits ronds de papier offre une bonne représentation de l’Univers en expansion. À mesure que l’on gonfle le ballon, les ronds de papier, qui jouent le rôle des galaxies, s’éloignent les uns des autres. Il faut bien comprendre que dans cette analogie c’est la surface du ballon qui représente l’espace courbé ou déformé. Les zones situées à l’intérieur ou à l’extérieur du ballon ne correspondent à aucune entité dans l’Univers réel.

Forts de cette image, nous voilà prêts à nous attaquer au problème de l’origine de l’Univers. Repassons à nouveau le film cosmique à l’envers : le ballon rétrécit au lieu de s’étirer. S’il était parfaitement sphérique (et si le caoutchouc était d’une minceur infinie), alors, à un certain moment dans le passé, le ballon tout entier se contracterait en un point. Il ne pourrait rétrécir davantage. Cela correspond au commencement. Lorsque nous repassons le film à l’endroit, nous voyons que ce que nous venons de décrire illustre une origine dans laquelle l’espace lui même naît de « rien » au moment du Big Bang et s’étire pour former un volume toujours plus vaste. Remarquez bien que l’Univers ne s’étend dans rien : l’espace lui-même est créé au fur et à mesure que l’Univers enfle. De la même façon, la matière et l’énergie de l’Univers sont apparues au commencement ou à un instant proche. Selon cette description, pas plus que dans le cas du ballon, il n’existe de centre ou de frontière. Il nous est impossible de nous extirper de l’Univers pour y observer les galaxies s’éloignant les unes des autres.

Si vous éprouvez quelque difficulté à visualiser l’espace comme une entité finie mais dépourvue de frontière ne vous inquiétez pas. Nos ancêtres étaient tout aussi perplexes devant la Terre. Ils la croyaient soit étendue à l’infini dans toutes les directions, soit délimitée quelque part par un bord d’où l’on aurait pu tomber. En fait, comme nous le savons bien maintenant, la Terre ne s’étend pas à l’infini, pas plus qu’elle ne possède de frontière.

Il est, une fois encore, important de saisir que le point d’où émerge l’espace ne se situe pas « dans » quelque chose. Ce n’est pas un objet entouré de vide. Ce point est l’origine de l’espace qui s’amorce comprimé à l’infini. Notez aussi que ce grain ne reste pas là pendant une durée infinie avant de s’étendre. Il apparaît instantanément de « rien » sans traverser le temps. De fait, d’après la théorie de la relativité, ce grain ne peut en aucune façon exister dans le temps car le temps lui-même commence ici. C’est peut-être là l’aspect le plus décisif de la théorie du Big Bang.

Origine, inflation et expansion de l’Univers, du Big Bang au présent.

La notion d’un univers physique naissant « avec » le temps et non « dans » le temps n’est pas nouvelle. On peut la faire remonter jusqu’à Saint Augustin au Ve siècle, voire jusqu’au philosophe préchrétien Sénèque. Mais il fallut attendre la théorie de la relativité d’Einstein pour donner toute sa respectabilité scientifique à ce concept. L’élément clé de la théorie de la relativité est que l’espace et le temps font partie de l’Univers physique et ne se résument pas à une quelconque enceinte d’arrière-plan servant de support à l’Univers. Par conséquent, toute tentative entreprise pour élucider l’origine de l’Univers physique se doit aussi nécessairement d’expliquer la naissance de l’espace et du temps.

L’espace-temps est classiquement représenté par ces deux cônes réunis par leur sommet. L’un décrit le futur, l’autre le passé. Toutes les informations lumineuses accessibles aujourd’hui sont rassemblées à la surface du cône de lumière du passé. Les événements situés en dehors de ce cône sont inobservables à notre époque, ceux situés au-delà de l’horizon visuel le sont pour toujours.

Néanmoins, il est significatif que, d’après la théorie de la relativité, l’espace et le temps puissent être dotés de bords, ou frontières, appelés en termes mathématiques singularités. Le point final de l’effondrement d’une étoile en un trou noir est un exemple de « singularité ». Une frontière du passé, ou origine, de l’espace et du temps, dans un Big Bang, en est un autre. Dans ce dernier cas, en remontant le temps, l’Univers se trouve de plus en plus comprimé et la courbure de l’espace-temps s’accentue jusqu’à devenir infinie au point de singularité. On peut donc voir cette frontière de l’Univers comme le point où le champ gravitationnel, et donc la courbure de l’espace-temps, est infini et ne peut s’amplifier davantage. Cela ressemble, grossièrement, au sommet d’un cône, dont la surface se termine en un pic infiniment pointu qui marque sa fin. Ainsi, bien que l’Univers n’ait pas de frontière dans l’espace, le fait est qu’il en a au moins une dans le temps : l’événement originel.

Une fois acceptée l’existence d’une origine du temps, il devient clair que la question : « Que s’est-il passé avant le Big Bang ? » est dépourvue de sens. Il n’existe pas d’époque « avant le Big Bang », car le temps a commencé avec le Big Bang. Malheureusement, on répond souvent à la question par le constat creux qu’« il n’y avait rien avant le Big Bang », source de nombre d’idées fausses. Les gens ont interprété « rien », dans ce contexte, comme un espace vide ; mais ainsi que la discussion précédente a dû le faire comprendre, pas plus que le temps, l’espace n’existait préalablement au Big Bang. « Rien » se réfère-t-il donc ici à quelque chose de plus subtil, comme un pré-espace, ou à quelque état abstrait d’où l’espace aurait émergé ? Non. Comme l’astrophysicien anglais Stephen Hawking l’a lui-même fait remarquer, à la question : « Qui y a-t-il au nord du pôle Nord ? » on peut également répondre « rien », non pas parce qu’il s’y trouve une terre mystérieuse de « rien », mais parce que la région à laquelle on fait allusion n’existe pas. Elle est inexistante de façon non seulement physique, mais également logique. Il en va de même quant à l’époque antérieure au Big Bang. Par définition, une telle période n’existe pas. Aussi, la question de savoir ce qui s’y est passé est aussi vide de sens que celle concernant le nord du pôle Nord.

Certains en semblent contrariés. Ils pensent être dupés. Ils suspectent les scientifiques d’être incapables d’expliquer l’origine de l’Univers et de recourir à des concepts obscurs et douteux, comme l’origine du temps, dans le seul but d’embrouiller leurs détracteurs. L’état d’esprit derrière une telle objection est bien compréhensible : nos cerveaux sont éduqués pour penser en termes de cause et d’effet. Et, dans les conditions de physique normales, la causalité suit un rythme séquentiel : l’effet suit toujours la cause. Nous avons naturellement tendance à envisager une chaîne de causalité qui remonte le temps et qui soit n’a pas de commencement, soit aboutit à une cause première métaphysique ou à un « moteur primordial » comme Dieu. Mais les cosmologistes nous invitent aujourd’hui à envisager une origine de l’Univers sans cause préalable au sens habituel où nous l’entendons, non pas parce que cette entité causale serait anormale ou surnaturelle, mais parce qu’il n’existe tout simplement aucune époque antérieure dans laquelle elle pourrait opérer.

Fluctuations quantiques à la rescousse

Il n’empêche cependant qu’il serait faux de croire que les cosmologistes jouent les opportunistes et expliquent l’Univers en faisant fi de toute époque antérieure, pas plus qu’ils ne peuvent prétendre l’expliciter en avançant qu’il a toujours existé. Dans un cas comme dans l’autre, on peut toujours se demander pourquoi l’Univers a la forme et les traits qu’il a, ou tout simplement pourquoi il existe.

Le plus haut degré de réalisation d’une théorie physique serait de nous expliquer pourquoi le temps (et l’espace) s’est soudainement « mis en marche » dans un Big Bang, plutôt que de nous demander de l’accepter comme un fait inexpliqué. La dernière hypothèse en date avance que cette naissance spontanée du temps et de l’espace est une conséquence naturelle de la mécanique quantique. La mécanique quantique est la branche de la physique qui s’applique aux atomes et aux particules subatomiques et qui se caractérise par le fameux « principe d’incertitude » de Heisenberg, selon lequel des fluctuations soudaines et imprévisibles se produisent dans toutes les quantités observables.

Illustration des fluctuations de l’espace-temps provoquées par les fluctuations d’énergie du vide. De l’une d’entre elles a pu émerger notre Univers en expansion.

Les fluctuations ne sont causées par rien du tout : elles sont réellement spontanées et intrinsèques à la nature, à son niveau le plus profond. Ainsi, un agrégat d’atomes d’uranium subit une désintégration radioactive due aux processus quantiques au sein des noyaux. Cette désintégration se fait selon une durée bien déterminée. Mais, en dépit de cela, il est impossible, même en principe, de prédire quand ce processus se produira pour un noyau donné. Vous pouvez toujours vous demander pourquoi la désintégration d’un noyau particulier a lieu à cet instant plutôt qu’à un autre, il n’existe pas de raison profonde – de cause sous-jacente – qui puisse l’expliquer. La désintégration se produit, c’est tout.

L’étape clé, pour autant que l’on s’intéresse à l’origine de l’Univers, consiste désormais à appliquer la mécanique quantique non pas seulement à la matière, mais également à l’espace et au temps. Rappelez-vous que l’espace-temps est un aspect de la gravitation, ce qui signifie qu’il faut appliquer la théorie quantique au champ gravitationnel. La « théorie quantique des champs » est une branche de la physique qui a fait ses preuves, mais il faut bien avouer que des problèmes techniques spécifiques au cas de la gravitation attendent encore une solution satisfaisante. La théorie quantique de l’origine de l’Univers repose donc sur des bases encore précaires.

En dépit de ces obstacles techniques, on peut avancer de façon assez générale que, lorsque l’espace et le temps sont soumis aux principes quantiques, il leur est dès lors possible de « se mettre en marche », sans le concours d’une causalité préalable, en accord avec les lois de la physique quantique. Les détails de l’« allumage » du temps demeurent subtils et sujets à controverse. Dans sa théorie de la relativité, Einstein a montré que l’espace et le temps sont intimement liés : il faut vraiment penser en termes d’espace-temps à quatre dimensions, plutôt qu’en termes distincts d’espace à trois dimensions et de temps à une dimension. Il n’empêche que l’espace demeure l’espace et le temps reste le temps. Mais c’est là que la physique quantique apporte une nouvelle lumière.

Lois éternelles

Les identités séparées et distinctes de l’espace et du temps peuvent devenir floues à l’échelle ultramicroscopique lorsqu’elles sont soumises au principe d’incertitude. Grossièrement, pendant un bref instant, le temps peut se comporter comme l’espace et vice versa[§]. Dans la théorie qu’ont développée James Hartle, de l’université de Californie à Santa Barbara, et Stephen Hawking, de l’université de Cambridge, cette « brume » quantique implique que, plus on se rapproche de l’origine, plus le temps est susceptible d’adopter les propriétés de l’espace et d’abandonner celles qui lui sont propres. Cette transition ne se fait pas de façon soudaine, mais est rendue floue par l’incertitude prônée par la physique quantique Ainsi, selon la théorie de Hartle et de Hawking, le temps ne « s’allume » pas subitement mais émerge de façon continue de l’espace, sur une brève période. Il n’existe donc pas d’« instant premier » spécifique de démarrage du temps, pas plus que le temps ne se prolonge éternellement dans le passé. Ainsi la physique quantique autorise-t-elle la conclusion apparemment paradoxale selon laquelle le temps est fini dans le passé, mais dont il est impossible d’en préciser un commencement effectif.

Bien évidemment, une théorie complète de l’origine de l’Univers se doit d’expliquer bien plus que la simple apparition de l’espace et du temps. Il lui faut également rendre compte de caractéristiques supplémentaires, telles que l’origine de l’énergie et de la matière, la structure à grande échelle de l’Univers et le taux d’expansion observé. De nombreux progrès ont été accomplis ces vingt dernières années, là encore grâce à la théorie quantique des champs. Ces théories ont suggéré à certains un scénario plus élaboré, dans lequel la région que nous appelons traditionnellement l’« univers » n’est rien d’antre qu’une petite « bulle » d’espace au sein d’un vaste assemblage de régions en expansion, souvent regroupées sous le terme de « multi-univers ». Et une toute nouvelle théorie – connue sous le nom de « modèle ekpyrotique » – explique même la naissance de l’Univers comme le résultat de la collision de deux univers séparés par une « cinquième dimension ». Mais pour fascinantes que soient ces théories, je vais me restreindre dans ce qui suit à l’image classique selon laquelle l’Univers observé est le seul qui existe.

L’idée de l’existence de « multi-univers » est aujourd’hui reprise en cosmologie quantique. Trois univers reliés par des « trous de vers » (modèle statique).

Il ne faut pas aller s’imaginer que les lois de la physique, et l’état quantique qui représente l’Univers, ont existé d’une façon ou d’une autre avant l’Univers. Tel n’est pas le cas, pas plus qu’il n’existe quoi que ce soit au nord du pôle Nord. Les lois de la physique n’existent aucunement dans l’espace et dans le temps. Tout comme les mathématiques, elles ont une existence abstraite. Elles décrivent le monde, mais elles ne sont pas « dedans » (bien que certaines personnes désapprouvent profondément cette vision). Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que les lois de la physique sont nées avec l’Univers. Si tel était le cas – si l’ensemble de l’Univers physique et des lois étaient issus de rien – nous ne pourrions alors pas recourir à ces lois pour expliquer l’origine de l’Univers. Aussi, pour avoir quelque chance de comprendre scientifiquement comment l’Univers est apparu, nous devons admettre que les lois elles-mêmes ont un caractère abstrait, intemporel, éternel. L’autre solution consiste à envelopper de « mystère » l’origine de l’Univers et à renoncer à toute explication. On pourrait rétorquer que prendre les lois de la physique comme telles n’est pas une fin en soi. D’où viennent-elles ? Et pourquoi « ces » lois plutôt que d’autres ? C’est là une objection judicieuse. Nous devons certes éviter la chaîne causale traditionnelle et rechercher plutôt une chaîne explicative ; mais nous nous retrouvons, inévitablement, confrontés à l’équivalent logique de la cause première, c’est-à-dire au début même de la chaîne explicative. C’est le travail de la physique que d’expliquer le monde à partir de principes qui font office de lois. Les interrogations quant à la nature des lois elles-mêmes relèvent de la métaphysique. Certains scientifiques se contentent de hausser les épaules, en disant que nous devons simplement accepter les lois comme telles. D’autres suggèrent que les lois sont ce qu’elles sont par simple nécessité logique. D’autres encore proposent l’existence de nombreux autres mondes, dotés chacun de lois différentes et parmi lesquels seul un nombre restreint possède les lois spécifiques nécessaires à l’émergence de la vie et d’êtres doués de réflexion tels que nous-mêmes.

Pratiquement tous les physiciens qui travaillent sur les problèmes fondamentaux acceptent la réalité des lois de la physique. Si nous nous rendons effectivement à cette idée, nous pouvons dès lors dire que les lois de la physique sont, de façon logique, antérieures à l’Univers qu’elles décrivent. C’est-à-dire que les lois de la physique sont à la base d’une relation explicative rationnelle, de la même façon que les axiomes d’Euclide sont à la base d’un système logique que nous appelons géométrie. Bien évidemment, on ne peut prouver que les lois de la physique constituent nécessairement le point de départ d’un schéma explicatif, mais il faut bien commencer quelque part pour tenter d’expliquer le monde de façon rationnelle. Ainsi, pour la plupart des scientifiques, les lois de la physique offrent une option satisfaisante. De la même façon, on n’est pas obligé d’accepter les axiomes d’Euclide comme point de départ de la géométrie ; un ensemble de théorèmes comme ceux de Pythagore ferait tout aussi bien l’affaire. Mais la science (et les mathématiques) a pour objectif d’expliquer le monde de façon aussi simple et économique que possible. Les axiomes d’Euclide et les lois de la physique répondent bien à cette attente.

De fait, il est possible de quantifier le degré de compacité et d’utilité de ces schémas explicatifs en ayant recours à une branche des mathématiques appelée « théorie algorithmique de l’information ». Une loi de la physique est manifestement une description plus compacte du monde que les phénomènes qu’elle décrit. Il suffit, par exemple, de comparer la concision des lois de Newton à la complexité des tables astronomiques répertoriant les positions des planètes. Plus la physique progresse, plus l’unification et la généralisation des lois réduisent la complexité algorithmique d’ensemble de notre description de l’Univers. Il est d’usage en science de considérer comme la plus fondamentale la description tout à la fois la plus compacte et la plus globale.

Questions ouvertes

Il est des gens qui ne se contentent pas d’accepter les lois de la physique comme un tout axiomatique mais qui cherchent à aller au-delà. Le sujet est pour eux l’occasion rêvée pour discourir du « sens » ou du « but » dont pourrait être chargé l’Univers. On peut ainsi rechercher, en termes mathématiques, s’il existe d’autres ensembles de lois qui soient, de façon logique, auto-consistants. On peut encore se demander si l’ensemble des lois qui caractérise l’Univers observé ne renferme pas quelque chose d’inhabituel ou de particulier qui le distingue de ceux des autres univers possibles. Peut-être les lois observées constituent-elles d’une certaine manière un ensemble optimal, source d’une très grande richesse et d’une infinie diversité des formes physiques – qui sait ? Il se pourrait même que l’existence de la vie et de la conscience soit d’une certaine façon liée à cette spécificité. Ce sont là encore des questions ouvertes ; mais il me semble plus fécond de cogiter sur ces notions scientifiques et théologiques que de tergiverser sur ce qui s’est passé avant le Big Bang.

*** *** ***

©La Recherche, Janvier 2002

 

Pour en savoir plus :

-          S. Hawking, L’Univers dans une coquille de noix, Odile Jacob, 2001.

-          J. Silk, Le Big Bang, Odile Jacob, 1997.


 

[*] Cet article, paru en juin 2001 dans la revue Prospect, a été traduit par Nathalie Audard et adapté par la rédaction de La Recherche.

[†] Professeur de physique théorique à l’université de Newcastle (G.-B.), puis d’Adelaïde (Australie), Paul Davies est aujourd’hui écrivain scientifique.

[‡] Cf. Michel Cassé & Elisabeth Vangioni-Flam, « La quête du deutérium primordial », La Recherche, hors série n° 1, avril 1998.

[§] Cf. Alexandre Vilenkin, « Avant le temps, l’espace et la matière », La Recherche, hors série n° 1, avril 1998.

 

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