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Je vais écrire une chanson

 

Interview avec Joan Baez[1]

 

Le premier acte de désobéissance civile de Joan Baez remonte à l’époque où elle était encore adolescente au lycée de Palo Alto. L’école avait programmé un exercice de raid aérien et dès qu’ils entendraient l’alarme, les lycéens devaient rentrer chez eux et attendre dans leur cave le temps d’une explosion atomique.

Joan, dont le père était physicien et qui s’intéressait aux enseignements du Mahatma Gandhi, estima que l’exercice de raid aérien était « ridicule ». En consultant les livres de son père, elle s’était aperçu qu’un missile mettrait moins de temps pour accomplir la distance séparant Moscou de son lycée qu’il n’en fallait pour rentrer chez soi et se réfugier dans sa cave. De plus, l’idée même de gagner une guerre atomique allait à l’encontre de toutes ses croyances. Elle boycotta l’exercice, resta assise sur sa chaise au lycée pendant que tous les autres rentraient chez eux. Le lendemain, elle faisait la « une » du journal local. Le rédacteur en chef du journal reçut par la suite des courriers de lecteurs soupçonnant le lycée d’avoir des infiltrations communistes.

Cet événement a eu lieu il y aura bientôt trente ans. J’ai lu récemment une brève dans le San Francisco Chronicle intitulée « Joan Baez enfreint la loi ». Il semblerait que lors d’un concert donné en Tchécoslovaquie en juin 1989, Mme Baez ait invité le chanteur interdit Ivan Hoffman à la rejoindre sur scène et que dans la même soirée, elle ait dédié des chansons aux prisonniers tchèques et à divers groupes politiques. En réaction, les autorités tchèques ont coupé les micros du festival folk où Joan Baez était venue chanter et les organisateurs du concert l’ont accusée de ne pas avoir respecté les dispositions prévues dans son contrat.

***

Joan Chandos Baez est née le 9 janvier 1941 à Staten Island, New York. Elle a passé presque toute sa petite enfance dans la partie nord de l’État de New York, où son père travaillait comme physicien à l’université Cornell. La mère de Joan allait aux réunions des quakers et, tous les dimanches, elle emmenait ses trois filles et son mari au groupe de rencontre local. Petite fille, Joan pensait que les réunions des quakers étaient « une horreur ! Une salle remplie d’adultes ternes, raides comme des bouts de bois avec les yeux fermés ».

Ce contact avec les quakers incite le père de Joan, le Dr Albert Baez, à devenir pacifiste. Plutôt que d’essayer de se faire de l’argent dans l’industrie de la défense, il choisit la voie universitaire, donne des cours, collabore avec l’UNESCO et participe à la construction d’un laboratoire de physique à l’université de Bagdad en Irak. C’est lors de cette année passée à Bagdad que Joan ressentira pour la première fois « sa passion pour la justice sociale ». Elle écrira plus tard dans son autobiographie And a Voice to Sing With : « À Bagdad, j’ai vu des animaux battus à mort, des gens chercher à manger dans nos poubelles et des enfants sans jambes couverts de mouches se traîner dans les rues sur des cartons pour mendier. » Petite fille, elle écrit dans son journal : « Quand je pense à Dieu, je vois la Terre comme quelque chose de très petit. Puis je me vois comme un tout petit point et je me dis qu’il est inutile que ce petit point passe toute sa petite vie à faire des choses pour lui-même, et qu’il pourrait tout aussi bien passer son infime quantité de temps à rendre heureux les autres petits points moins chanceux. »

Joan Baez connaît un autre « réveil social » quand sa famille quitte Bagdad pour s’installer en Californie du Sud. Joan fréquente alors un collège à forte population d’immigrants mexicains et d’étrangers illégaux. Bien qu’étant à demi mexicaine, elle se sent mise à l’écart par les Mexicains parce qu’elle ne parle pas espagnol, et par les Blancs parce qu’elle a l’air mexicain et porte un nom mexicain. Mais la découverte de ses dons de chanteuse changera radicalement son statut auprès des élèves. À cette époque, elle emportait sa guitare hawaïenne à l’école, attendant la pause de midi pour qu’on lui demande de chanter. Elle deviendra très vite l’amuseur public du collège, ce qui mettra fin à l’ostracisme à son égard.  

Son entrée au lycée marque une nouvelle phase dans sa conscience sociale. Sa famille vient de re-déménager, cette fois à Palo Alto en Californie. Joan assiste alors à une conférence de trois jours sur les problèmes du monde. Ce rassemblement est sponsorisé par le service d’aide sociale des quakers, the American Friends Service Committee, et le principal intervenant de la conférence est un vieux prédicateur noir d’Alabama, Martin Luther King Sr : « Tout le monde dans la salle était comme hypnotisé »‚ écrira Joan dans ses mémoires. « Il nous a parlé d’injustice et de souffrance, de lutter avec les aimes de l’amour… et d’organiser une révolution non-violente. » Après son discours, Joan est effondrée, en larmes.

L’année suivante, lors d’une réunion de quakers, Joan rencontre Ira Sandperl, l’homme qui deviendra son « mentor spirituel et politique au cours des décennies suivantes ». Spécialiste de Gandhi, Ira propose de faire de la non-violence organisée le principal outil du XXe siècle. Son engagement est communicatif et Joan prend alors fermement parti pour la non-violence, qui lui semble aussi « morale que pragmatique ». Toute sa vie en sera influencée.

Après le lycée, Joan déménage avec sa famille à Boston où elle s’inscrit à l’École de théâtre universitaire, la seule qui ait bien voulu d’elle. Devenue une habituée des bars autour de Harvard Square à Cambridge, on lui propose un jour de chanter dans un club et elle se fait très vite une réputation de chanteuse de folk. Quittant définitivement l’université, elle sera rapidement propulsée au rang de vedette. À l’âge de 21 ans, elle fait la couverture du Time Magazine et fréquente des gens comme Bob Dylan (encore inconnu) et peu après, les Beatles. Toujours aussi fidèle à ses valeurs, elle choisit cependant de signer avec Vanguard Records, une petite maison de disques de qualité mais relativement peu connue, plutôt que l’impersonnelle mais ultra-célèbre Columbia, aux murs couverts de disques d’or.

Au début des années soixante, Joan Baez s’implique naturellement dans le Mouvement pour les droits civiques. Elle participe à la marche organisée par Martin Luther King à Grenada, Mississippi, et vit l’un de ses plus beaux jours, celui où elle chante We Shall Overcome devant deux cent cinquante mille personnes à Washington, en 1963, quand M.L. King prononce son célèbre discours I Have a Dream. Quelques années plus tard, M.L. King rendra visite à Joan Baez et Ira Sandperl, emprisonnés pour avoir soutenu le mouvement des insoumis à l’armée. Un an plus tard, Martin Luther King allait être assassiné. Joan Baez écrira ces mots à son intention dans son autobiographie : « Plus que toute autre personne qui a compté dans ma vie, vous êtes mon espoir et mon inspiration. »  

Pour protester contre la guerre du Viêt-Nam, Joan Baez refuse de payer soixante pour cent de ses impôts annuels, la somme destinée aux armements. Sa décision, qu’elle expliquera clairement dans une lettre aux services fiscaux et simultanément à la presse en 1964, lui vaudra d’être poursuivie par les impôts pendant toute la durée de la guerre. Le fisc mettra ainsi sa maison en gage, sa voiture et ses biens, et ils viendront même se servir dans la caisse le soir de ses concerts, avant que les organisateurs puissent toucher leur commission. Le gouvernement finira par récupérer son dû, avec les majorations d’usage, mais Joan refusera toujours de payer ses impôts d’elle-même, sachant que le recouvrement forcé coûte aussi de l’argent au gouvernement.

En 1965, Joan Baez et Ira Sandperl créent l’Institut pour l’étude de la non-violence à Carmel, Californie. Pendant quatre ans, Joan sera le « professeur assistant » d’Ira. Ses cours portent sur l’étude de la « non-violence dans tous ses aspects, de son application dans les relations personnelles à des méthodes de lutte contre l’oppression organisée à l’échelle internationale ». À cette époque, Joan donne une vingtaine de concerts par an. Elle reverse la majeure partie de ses cachets et de ses royalties à des causes non-violentes.

En 1967, alors qu’elle milite contre le service militaire obligatoire, Joan Baez rencontre David Harris, tout aussi engagé qu’elle dans la lutte pour les objecteurs de conscience. Ils tombent amoureux, se marient et ont un fils, Gabriel. Harris passe ensuite dix mois en prison pour résistance à l’armée et peu après son retour, le couple se sépare. Depuis, Joan a pratiquement toujours vécu seule. Elle est réconciliée avec la solitude et écrit dans son autobiographie : « Je suis faite pour vivre seule. »

En 1972, Joan Baez se rend à Hanoï sur l’invitation des Nord-Vietnamiens. Treize jours inoubliables, pendant le fameux bombardement de Noël. Elle passera ses nuits réfugiée dans un abri pendant que les B-52 bombardent la ville. La femme qui avait chanté en plein milieu de la nuit à Woodstock devant une foule de cinq cent mille personnes se retrouve à chanter au cœur de la nuit devant des êtres effrayés en quête d’un refuge dans l’étrange ville de Hanoï, bombardée par ses concitoyens. L’album tiré de cette expérience, Where Are You Now, My Son? connaît un rapide succès en 1973 et il fait sans doute partie de ceux dont Joan est la plus fière. Cette expérience en zone de guerre l’a beaucoup marquée. Aujourd’hui encore, le sifflement des avions dans le ciel réussit parfois à la tirer de son sommeil.  

Sept ans après son séjour au Nord Viêt-Nam, Joan Baez publie une « Lettre ouverte à la république socialiste du Viêt-Nam », dans laquelle elle dénonce les violations des Droits de l’homme perpétrés par ses anciens hôtes, et leur non-respect des « principes de dignité humaine, de liberté et d’autodétermination qui ont poussé tant d’Américains à s’opposer au gouvernement du Sud Viêt-Nam ». Cette lettre provoquera de vives critiques de la part des gauchistes américains, mais à l’instar de Gandhi, Joan Baez se bat pour la vérité, non pour l’idéologie.

La même année, en 1972, Joan Baez commence à s’intéresser aux activités d’Amnesty International, l’organisation qui défend les Droits de l’homme dans le monde. Elle se chargera d’établir les bureaux d’Amnesty International sur la côte Ouest et continuera pendant des années à animer des veillées, des concerts et des manifestations pour l’organisation, que ce soit pour les mères des disparus en Argentine ou les dissidents du monde entier. Un jour, Andreï Dmitrievitch Sakharov et Elena Bonner auront même la surprise de l’entendre chanter We Shall Overcome au téléphone !

En 1979, Joan Baez fonde sa propre organisation, Humanitas International, à Menlo Park en Califorme. Son objectif pour Humanitas : s’occuper des causes dont les autres organisations ne peuvent se charger. Ses moyens : voir le monde « avec les deux yeux » et s’élever contre « la répression partout dans le monde, quelles que soient les idéologies, de droite ou de gauche ». Sous sa direction, Humanitas accordera son soutien à Desmond Tutu qui mène une action non-violente pour la liberté en Afrique du Sud, à Lech Walesa et au mouvement Solidarnosc en Pologne, à la campagne pour l’interdiction des armes nucléaires, aux combattants de la liberté en Afghanistan et à quantité d’autres causes, de part et d’autre du spectre politique. Humanitas s’opposera également à l’intervention américaine en Amérique centrale et fera connaître les violations des Droits de l’homme dans cette région agitée de troubles. En 1981, Joan Baez part enquêter au front en Amérique latine où elle rencontrera des militants, des victimes de la torture et des parents de « disparus ». Un documentaire PBS intitulé There But for Fortune: Joan Baez in America retrace l’histoire de ce voyage.

Devenue porte-parole de la non-violence, elle sera parfois confrontée à la violence. La dernière fois, en mai 1988, elle a été attaquée par des Israéliens extrémistes qui lui ont lancé des œufs lors d’un rassemblement sur une base militaire prés de Tel-Aviv. Baez était venue apporter son soutien aux soldats israéliens qui refusaient de servir dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Après une interruption de huit ans, aucune maison de disques américaine n’ayant voulu miser sur un nouvel album, Joan Baez reprend le chemin des studios et des tournées. Ses nouveaux disques Recently, Diamonds and Rust in the Bullring (enregistré live en Espagne) et Speaking of Dreams (commémorant le trentième anniversaire de sa carrière musicale) continuent à refléter son engagement pour les problèmes de société.  

J’avais déjà rencontré Joan Baez à plusieurs occasions, mais le jour où nous devions nous voir, elle était malade et nous avons dû nous entretenir par téléphone. Il y a quelques mois, nous avions passé tout un dimanche après-midi chez elle à Woodside en Californie. Elle mène une vie simple dans une maison rustique avec des verrières, entourée de fleurs et d’un jardin. Joan nous avait préparé du thé, nous nous étions installées près de la cheminée dans la cuisine pour bavarder à bâtons rompus, de l’amour, de l’état du monde et d’un tas d’autres choses… Elle sourit facilement, avec de beaux yeux tristes, et semble parfois perdue dans un monde intérieur fait de souvenirs et de pensées.

Sa vie a été entièrement façonnée par ce qu’elle appelle son « don le plus précieux », sa voix. Son talent n’est pas seulement une bénédiction en soi ; il lui a aussi permis d’exprimer de maintes façons son souci des autres et son engagement pour la non-violence. Qu’il s’agisse de chanter devant une foule de milliers de personnes, d’échanger des propos avec le président français sur le Mahatma Gandhi ou de réconforter une femme vietnamienne dont le fils gît sous les décombres d’un bombardement, la voix de Joan Baez est effectivement un don.

Catherine Ingram

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Interview de Joan Baez

Woodside, Californie (8 septembre 1988)

 

Catherine Ingram : Pendant longtemps, vous avez milité activement au sein d’organisations comme Humanitas et Amnesty International. Pourquoi les Droits de l’homme sont-ils aussi importants pour vous ?

Joan Baez : Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, et qui a presque toujours été une priorité dans ma vie, est lié à la non-violence. Mais je ne crois pas que je verrai le résultat de tous les combats que nous avons menés de mon vivant ; la fin de l’État-nation – cela nous a tous bien fait rire – ; des armées non-violentes à la place des armées actuelles, etc. Des choses parfaitement sensées qui ne risquent pas de se produire de sitôt. Mais qui devront pourtant arriver un jour si la race humaine ne veut pas disparaître.

Ce qu’il y a de formidable avec les Droits de l’homme, c’est qu’il y a des résultats tangibles. On rencontre de temps en temps un prisonnier… ce fut une expérience très forte dans ma vie. J’ai beaucoup appris, que ce soit des dissidents russes ou des prisonniers chiliens. La personne qui m’a sans doute le plus émue est Mario Serundas, au Brésil. Je savais ce qu’il avait vécu…

C.I. : En termes de torture…

J.B. : Oui, et je l’ai rencontré. Il représente à mes yeux tout ce que l’on devrait être. Et je ne comprends pas comment on a pu lui faire tout cela. Il n’était pourtant ni dans l’idéologie ni dans la rhétorique.

J’ai aussi rencontré un homme merveilleux dans la bande de Gaza, Nafez Assaily, qui travaille au Centre d’études palestinien de la non-violence. Après vingt minutes de conversation, j’ai su qu’il était dans la lignée de Gandhi. Il avait été brutalisé et torturé par la police et je lui ai demandé comment il avait réagi. Il m’a répondu : « Je les ai aimés. J’ai fait la seule chose à laquelle ils ne savaient pas comment s’opposer. J’ai aimé les gens qui me torturaient et je le leur ai dit. Je leur pardonnais à chaque fois et ils devenaient fous. Ils ne savaient plus que faire de moi. »

Les actions menées par Amnesty International sont tout à fait à la portée des jeunes. Cela leur donne le sentiment qu’ils peuvent réellement « faire quelque chose ». Vous voyez des jeunes de 13 ans faire circuler une pétition dans un concert de U2 pour tenter de faire sortir de prison treize Guatémaltèques. C’est très tangible.

Je pense que dans ma vie, la non-violence a toujours été une question centrale et que tout le reste y est lié. Par exemple, je ne pourrais pas travailler avec Amnesty International s’ils n’avaient pas une clause sur la non-violence car ce principe est le fondement même de tout mon combat.

C.I. : Quels sont d’après vous les points forts de la non-violence ? Je sais que vous étudiez le sujet depuis près de trente ans. En quoi la non-violence fait-elle sens ?

J.B. : Je pense qu’à la base – et je vais certainement citer Ira Sandperl – personne n’a le droit de tuer quelqu’un en raison de son idée de la vérité. C’est au nom de choses merveilleuses, comme la vérité, que nous avons commis des violences.

Peut-être n’aurais-je pas défendu aussi ardemment la non-violence s’il n’y avait pas eu Gandhi, parce qu’avant lui, ce n’étaient que rêves et paroles. Ira, qui aimait plaisanter, racontait souvent l’histoire du premier homme des cavernes qui avait refusé de porter une massue. Tout le monde avait dit : « Il est marteau, celui-là ! » Ils auraient très bien pu dire autre chose, « communiste » par exemple, mais comme ils n’avaient pas encore le communisme, ils n’ont rien trouvé de mieux ! Ce que Gandhi disait, c’était : « Prenons cette idée extraordinaire et organisons-la. » Mettons-la en pratique à grande échelle. Il nous a prouvé qu’un argument moral suffit amplement. Ce qu’il faut, c’est que les gens soient moralement imprégnés de non-violence – quand ce qu’ils croient est juste et qu’ils le feront jusqu’à la fin de leurs jours – pour que la non-violence puisse vraiment fonctionner. Si ce n’est qu’une tactique, la non-violence s’épuisera car il lui manquera une base morale et spirituelle. La non-violence s’usera si vous voulez en faire quelque chose de voyant ou de politique.

C.I : Que pensez-vous des situations où il s’agit de résister à un Hitler ou à un Pol-Pot ?

J.B. : Vous savez ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que nous avons assez d’imagination pour dire des choses comme : « Soit il fallait laisser Hitler exterminer six millions de Juifs – parmi, probablement, treize millions d’êtres humains au total – soit il fallait le tuer. » Et cela va beaucoup plus loin qu’on ne le pense. Qu’importe le fait qu’il n’aurait jamais pu faire ce qu’il a fait si les gens ne l’avalent pas suivi et acclamé…

Ce que j’ai dit récemment au sujet des électeurs américains et des candidats débiles qui se présentent aux élections n’avait rien à voir avec les candidats, mais avec ce que les gens veulent ou sont prêts à laisser faire parce qu’ils ne se sentent pas concernés. C’est de toute évidence ce qui s’est passé avec Hitler. Pour toutes sortes de raisons, il a pu prendre le pouvoir alors qu’on aurait dû l’enfermer dans une cellule matelassée ou le faire interner dans un hôpital…

C.I. : … où il aurait suivi une « thérapie d’amour », entre autres. Y aurait-il des exceptions à une voie non-violente ? Vous semblez dire que non, que c’est la voie.

J.B. : Quand vous dites que c’est la voie, vous êtes obligé de vous poser la question des alternatives possibles. Par exemple, quand on demande à un pacifiste : « Qu’auriez-vous fait pendant la Seconde Guerre mondiale ? » ou quand on a demandé à Gandhi : « La non-violence aurait-elle suffi contre Hitler ? », Gandhi a répondu : « Bien sûr, mais il y aurait eu des pertes colossales. » Il y en a eu de toute façon. Mais pour les gens ce n’est pas un problème, car c’est la guerre. Je pense toujours à cet exemple. En Amérique latine, des prêtres sont devenus révolutionnaires et certains portent même des armes. Ils se sont engagés dans la lutte armée, les combats se poursuivent et il y a maintenant des morts. Comme si cela faisait partie du programme. Vous tuez des gens et d’autres meurent aussi. Comme si cela n’avait rien d’extraordinaire. Mais si les prêtres décidaient de ne pas recourir aux armes, de s’organiser d’une façon non-violente, dès qu’il y aurait un mort, les gens diraient : « Ah, ah, je vous avais bien dit que la non-violence ne marcherait pas. »

Quand je suis allée à Grenada, Mississippi, j’ai vu dans une église une petite liste avec les noms de ceux qui ont perdu la vie dans la lutte pour les droits civiques. Le conflit durait déjà depuis quatre ou cinq ans et il n’y avait là que quatre ou cinq noms, contrairement aux trois mille ou aux cinquante mille qu’il y aurait eu en cas de révolution violente. L’histoire de la lutte non-violente va dans le sens de pertes minimes, en dépit de ce que les gens voudraient croire.

C.I. : Vous savez tout le courage qu’il faut pour rester non-violent face à ceux qui veulent vous causer du tort. C’est si rare, car l’instinct animal présent en nous a tendance à réagir pour contre-attaquer.

J.B. : L’image qui me vient à l’esprit est celle du héros de Platoon, tremblant de terreur dans la jungle, le visage recouvert de moustiques. Il devait être conditionné pour faire ce qu’il faisait. Gandhi a dit que la méditation était aussi importante pour le soldat non-violent que l’exercice pour le soldat traditionnel. La non-violence ne vient pas toute seule. Il ne suffit pas de se retrouver au beau milieu du conflit pour savoir comment agir.

Je me suis rendu compte que les gens qui m’ont le plus impressionnée par leur attitude non-violente dans des situations violentes sont ceux qui sont activement engagés dans ces stratégies non-violentes depuis longtemps. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre en participant à un atelier d’un week-end.

Je pense que la non-violence est plus difficile ; c’est pourquoi elle est si longue à mettre en place. C’est aussi pour cela que les gens oublient Gandhi ou Martin Luther King et qu’ils déprécient le principe de la non-violence. Comme nous avons été formés à la violence organisée depuis des milliers d’années, nous pensons que c’est la seule chose qui marche. Les gens disent : « Soit vous vous battez, soit vous êtes passif. » Mais on doit accepter la non-violence comme une forme de lutte, et c’est bien cela que les gens ont du mal à comprendre. La compassion et la joie peuvent être aussi contagieuses que la fièvre de la guerre.

C.I. : Où vous situez-vous aujourd’hui par rapport à une pratique spirituelle ?

J.B. : Si ma pratique spirituelle est suffisamment structurée, quand je passe par exemple dix jours de silence dans le monastère bouddhiste de Tassajara où dans un lieu où je peux être vraiment au calme, quand je vais régulièrement aux réunions des quakers ou que je suis en tournée, alors je peux faire la différence, voir quand j’ai les idées claires. C’est très difficile à faire en tournée, mais j’ai constaté que j’avais besoin de moments de tranquillité. Le silence a toujours été très important pour moi ; cela m’empêche d’en faire trop. D’une certaine façon, cela calme les choses. Je suppose que la réponse à votre question est liée au silence et à mon éducation auprès des quakers. J’aime aussi pratiquer la méditation et l’introspection dans un groupe, le plus souvent avec les quakers car ils y sont formés. C’est important de ne pas être à côté de quelqu’un qui commence à feuilleter un magazine parce qu’il n’a pas l’habitude du silence.

C.I. : N’est-ce pas incroyable ? Le silence est comme un bain de l’esprit dont nous avons pratiquement tous besoin.

J.B. : C’est vrai. Mais il y a aussi des gens qui ne supportent pas. Ils tambourinent avec leurs doigts ou ils disent : « Vous savez, je suis resté silencieux en allant à mon travail. »

C.I. : J’ai lu quelque part que vous vous inquiétiez de la recrudescence des violations des Droits de l’homme dans le monde. À quoi attribuez-vous ce phénomène ? Pensez-vous que ce soit réellement le cas ou que nous sommes tout simplement mieux informés en la matière ?

J.B. : Je dirais que d’une certaine façon, c’est directement lié à l’acceptation de la violence dans le monde. Il y a énormément de violence. D’aucuns sont aujourd’hui très optimistes au sujet des changements en cours et je suis assez d’accord. Certains changements sont très excitants.

C.I. : Comme ce qui se passe en Union soviétique ou dans le conflit Iran-Irak (l’interview se déroule en 1988)…

J.B. : Oui, et le fait que l’ONU sorte de l’obscurité. C’est un peu comme si les grandes puissances avaient décidé de jouer aux échecs après avoir joué pendant des années à se faire sauter mutuellement. Je pense que c’est une très bonne chose. Mais en même temps, toutes ces sous-guerres où les gens s’envoient des gaz et se tranchent la gorge sont insensées. Il y a eu cent vingt-sept guerres depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au sens où une guerre est un conflit faisant au moins mille victimes. On parle alors de « conflits actifs », et ces guerres où les gens se tuent les uns les autres sont bien réelles. Cela contribue considérablement aux violations des Droits de l’homme. Quand j’ai commencé à travailler avec Amnesty, nous insistions souvent sur le fait qu’il y a actuellement plus de torture dans le monde qu’il n’y en a eu depuis le Moyen Âge.

C.I. : En terme de pourcentage ?

J.B. : Oui, je crois. Mais il y a un espoir actuellement, c’est que la majorité des gouvernements réagit à la pression pour ne pas être exposés au grand jour. Il se trouve qu’Amnesty International dévoile leurs agissements et que le respect des Droits de l’homme est désormais obligatoire. Aujourd’hui, la question des Droits de l’homme est inscrite à l’ordre du jour de tous les sommets entre grandes puissances ; on ne peut plus l’ignorer ou en faire un point de discussion séparé.

C.I. : C’est certainement une percée historique ?

J.B. : Oui, sans aucun doute.

C.I. : Comme vous le savez, le « premier monde » dépend en grande partie de l’énergie et des ressources du tiers-monde et du quart-monde[2], ce qui a généré énormément de violence. Ce qui explique certainement l’aspect dictatorial et répressif de la politique américaine, en Amérique centrale par exemple. Nous vivons dans un tel luxe ici. Comme si nous autres Américains, nous vivions à la cour, dans les palaces du monde. Dans notre contexte culturel, il est très difficile de vivre simplement, de renoncer vraiment. Quel est votre avis sur le sujet ? Que pensez-vous de la responsabilité individuelle ?

J.B. : C’est aussi une question que je me pose. Il me semble néanmoins que les gens qui vivent le mieux avec eux-mêmes et avec le monde sont ceux qui ont abordé la question de l’inégalité et du partage des ressources. Il y a des gens qui vivent de leurs propres ressources, qui font pousser leur nourriture et sont très conscients de l’écologie. Mon père vit dans une zone de marais près d’une réserve écologique. L’autre jour il m’a dit quelque chose de très touchant : malgré toutes les années qu’il avait passées auprès des quakers, il avait toujours eu le sentiment que les êtres humains étaient prioritaires sur les autres espèces animales. Mais en approfondissant la question, il s’est rendu compte que les oiseaux du marais, de même que tous les animaux en voie d’extinction, font partie du tout et qu’on ne peut les séparer du reste aussi facilement. Je ne suis pas la plus qualifiée pour en parler, car je parcours le monde dans des avions qui déversent leurs vapeurs d’essence. Je vis dans deux mondes différents : à la maison j’essaie d’économiser le gaz, de faire attention à tout, et après je prends l’avion. Ou alors je suis face à des conflits du genre : vais-je dormir dans cet hôtel de luxe que j’adore…

C.I. : … ou à la dure sur une couchette de deuxième classe au risque d’arriver épuisée le lendemain matin !

J.B. : Exactement. Et je finis souvent par opter pour le luxe. Pas de façon extravagante, mais j’aime séjourner dans des endroits beaux, confortables et propres. En d’autres termes, je suis jalouse de la force de Gandhi, de sa capacité à faire le grand saut dans la pauvreté sans l’ombre d’une hésitation.

C.I. : Cette simplicité, ce non-attachement au luxe est une valeur que vous souhaitez développer dans votre vie ?

J.B. : Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est déjà en partie le cas ; sinon je vivrais à Beverly Hills. Mais je sais que cela ne me plairait pas du tout. J’ai une maison confortable, même si les gens qui viennent ici pour la première fois la trouvent assez rustique. Cela n’a généralement rien à voir avec l’image qu’ils avaient de moi avant. Pour moi, le luxe c’est cela. J’ai tout ce dont j’ai besoin. Maintenant, je ne crois pas que ma façon de vivre à la maison soit aussi importante ; voyons plutôt ma façon de vivre dans le monde.  

Il y a des moments dans la vie où l’on doit être prêt à renoncer à certaines choses, et je l’ai fait. Quand vous partez en Israël, vous savez que vous n’allez pas trouver le luxe. Ça va être pour le travail. Pour quelque chose que j’adore. J’ai voyagé pendant trois mois au Moyen-Orient et s’il y a bien des endroits où j’aimerais retourner un jour, c’est en Turquie et dans la bande de Gaza. C’est lié à ce que Gandhi disait : « J’ai trouvé Dieu dans les yeux des pauvres. » J’ai été parfois si émue dans ces lieux que c’en était presque trop. Et cela n’a évidemment rien à voir avec le luxe.

C.I. : Vous avez aussi visité des camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise.

J.B. : C’est la même chose. Tout est réduit à l’essentiel. Ma mère a travaillé dans des camps de réfugiés somaliens en Ethiopie et dans des camps cambodgiens en Thaïlande. Je lui ai demandé dans quels camps elle avait préféré travailler et elle m’a répondu les camps somaliens, parce qu’ils étaient plus simples.

C.I. : Notre dilemme est le suivant : nous sommes conscients de faire partie du problème mais, en même temps, nous peinons à trouver des solutions.

J.B. : Je pense qu’il est nécessaire d’établir des priorités dans tout ce que l’on fait. Je suis moi-même passée par des phases de cynisme extrême. Pendant des années, je me suis sentie coupable de ne pas vivre dans la pauvreté volontaire alors que beaucoup de gens autour de moi avaient commencé à le faire, et ce n’est que plus tard que j’ai commencé à me rendre compte qu’ils allaient souvent très mal et que la seule chose qu’ils faisaient, c’était vivre dans la pauvreté. C’est alors que j’ai compris que la pauvreté involontaire des autres m’intéressait plus que ma propre pauvreté volontaire.

Mon intérêt personnel pour la question est fluctuant, un peu comme le flux et le reflux des vagues. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de tout donner, pour finalement tout racheter trois mois plus tard.

C.I. : Comment réagissez-vous face aux projections des autres à votre égard ? Le fait d’être célèbre et facilement reconnaissable vous gêne-t-il dans vos actions ? Les gens qui vous rencontrent voient-ils uniquement le personnage Joan Baez ?

J.B. : Je pense que oui. Mais j’adore briser ces images chaque fois que je fais de nouvelles rencontres ou qu’on me voit dans la rue. Cela a commencé il y a des années. Un jour, j’étais avec Dylan et nous avons été abordés par deux fans déchaînées. La réaction de Bob a été des plus classiques : « Barrons-nous d’ici. » Je lui ai dit : « Ne sois pas stupide » et je leur ai tendu la main. Ce geste a cassé leur jeu, parce qu’elles n’en pouvaient plus et que je leur ai simplement dit bonjour. Après, quand le ballon s’est dégonflé, je crois qu’elles ont apprécié car nous avons pu bavarder tout simplement.

Quand vous désamorcez une situation de ce genre, tout le monde s’aperçoit que c’est beaucoup plus intelligent. Et cela marche presque à chaque coup. Parfois, quand il y a beaucoup de monde, le moteur est déjà parti et vous ne pouvez plus rien faire. Mais cela peut aussi bien finir. Un jour, en Turquie, j’ai donné un concert devant vingt-six mille personnes. À la fin, elles voulaient toutes monter sur scène. Elles avaient une telle soif de reconnaissance que lorsque j’ai commencé à chanter une chanson turque, elles se sont toutes levées pour crier en turc : « Liberté, paix, amour ». On ne pouvait pas les arrêter à cause de cela, même si toute la police était mobilisée pour le concert. C’était une véritable manifestation de masse, impossible à contenir. Des enfants sont montés sur scène ; l’un d’entre eux m’a attaché un fichu autour du cou et m’a donné un baiser, un autre m’a offert un chapeau, l’autre une fleur. Puis à la fin, quand la foule a commencé à monter sur la scène, je leur ai dit : « S’il vous plaît, restez. Restez. » La police n’a rien pu faire. D’habitude, soit ils ne font rien, soit ils brutalisent tout le monde ; alors je leur ai demandé de ne rien faire. De telles foules sont des défis merveilleux. C’est aussi la pratique – essayer de sentir la foule et donner à tous ces gens autant d’espace que possible. Les reconnaître. Généralement ça marche.

C.I. : C’est courageux.

J.B. : C’était surtout très excitant. J’ai aussi beaucoup pleuré. Par la suite, j’ai reçu une lettre de la femme qui avait organisé mon séjour sur place, une Turque très engagée à gauche et écrivain célèbre. Elle m’explique dans sa lettre qu’après le concert, elle a publié un article dans la presse qui avait pour titre « L’avez-vous entendue ? » et s’adressait en particulier aux étudiants emprisonnés dans les geôles de Turquie. Elle a reçu des centaines de réponses venant à quatre-vingt-dix pour cent de prisonniers qui disaient tous : « Oui, nous l’avons entendue. » Elle présente actuellement une émission spéciale à la télévision qui s’intitule « Oui, nous l’avons entendue ».

C.I. : Vous avez la chance d’avoir l’occasion et le talent de pouvoir vous donner de la sorte.

J.B. : C’est un don que j’ai reçu. Le week-end dernier, l’une de mes plus proches amies a perdu sa belle-fille qui venait de se suicider. Vingt-cinq ans plus tôt, elle avait déjà perdu son fils dans les mêmes circonstances et j’étais déjà là. Alors j’ai pris la guitare et j’ai chanté. Ce n’est pas facile pour moi, car si je me laisse aller aux sentiments, je ne peux pas chanter. Et quand j’ai chanté, tout le monde a pleuré. Il y avait des rivières de larmes et des piles de mouchoirs mouillés. Mais je savais que leur façon de réagir n’avait rien à voir avec moi, mais avec le pouvoir du don que j’ai reçu.

C.I. : Un tel don vous apporte aussi la compréhension de votre propre vide, l’expérience de soi-même comme un vaisseau vide se laissant porter par le courant. Je dirais que la compréhension du vide est le plus précieux des cadeaux.

À votre avis, les personnes publiques doivent-elles s’impliquer davantage, et voyez-vous une tendance dans cette direction ? Il semblerait que les vedettes de cinéma ou les personnalités soient de plus en plus nombreuses à défendre des causes humanitaires.

J.B. : Franchement, je suis affreusement cynique en général. Bien sûr, ces causes doivent être défendues, mais il est peu probable que tous ces gens aient réellement quelque chose à dire. Quant à leur formation, à leur éducation, elle s’est faite dans les limousines. Mais des gens comme Sting et Peter Gabriel sont vraiment dans ce qu’ils font. Peter Gabriel est quelqu’un de très sérieux. Dans l’hôtel où nous sommes descendus à Atlanta pendant notre tournée aux États-Unis, il a fait un gros coup de publicité à Amnesty International en parlant à tous les journalistes de l’organisation humanitaire et en recueillant des signatures pour sauver la vie d’un jeune Noir retardé mentalement et condamné à la peine de mort.

Mais j’ai plutôt des doutes en général, parce que nous sommes actuellement dans une période vide. Si vide que dès lors qu’une personnalité dit quelque chose d’un tant soit peu sensé, tout le monde dit : « Ouah, super, génial, voilà quelqu’un de vraiment engagé. » D’un côté, il est inutile d’être cynique car cela n’encourage pas les gens à se bouger et, de l’autre côté, trop de naïveté face à des situations où la personne ne fait que défendre sa propre cause est tout aussi vaine.

C.I. : Joan, cela fait des années que vous êtes sur scène. Que s’est-il passé depuis les années soixante ? Vous qui avez en quelque sorte une perspective historique des choses, pourriez-vous nous dire où sont passés l’espoir, l’idéalisme et l’engagement ?

J.B. : Eh bien, je n’ai jamais étudié l’histoire, mais j’imagine que cela tient à ce que tout fonctionne par cycles. J’ai aussi l’impression que l’Amérique s’est installée dans un cocon, en partie pour se protéger de sa propre réaction et de la réaction du monde face à la guerre du Viêt-Nam. Nous n’avons jamais vraiment su l’affronter. Il a fallu attendre vingt ans après l’arrêt des combats pour qu’on accueille enfin chez eux les anciens combattants du Viêt-Nam.

Je pense aussi qu’un pays qui se voit comme « la plus grande superpuissance du monde » et ne cesse d’entretenir cette image fait erreur, car ce n’est pas ainsi que nous allons commencer à pouvoir admettre que nous sommes sur la mauvaise pente.

Quand j’étais en Turquie, j’ai rencontré un vendeur de tapis tout à fait passionnant. À un moment, il m’a dit : « Quelle est la différence entre le yaourt et les Américains ? » Je lui ai dit que je ne savais pas et il m’a dit : « Le yaourt a une culture. » Ce n’était pas un petit secret, mais quelque chose d’archiconnu – qui s’écroule ici, sur le plan culturel, éducatif, spirituel, sans parler…

C.I. : … de l’aspect économique…

J.B. : Généralement celui qui intéresse le plus les gens. On leur a fait si peur qu’ils préfèrent tout simplement ne pas y penser. Il y a eu beaucoup d’efforts pendant la guerre du Viêt-Nam pour protéger notre image, et puis toutes ces années, après, où il était impossible de reconnaître que cela avait été une erreur.

Il y a tant de richesses que cela produit forcément de la paresse. Pourquoi s’en faire ? On s’est demandé pourquoi il n’y avait plus eu de chansons comme We Shall Overcome ou Let It Be après. La réponse, c’est que ces chansons ne venaient pas de nulle part, mais de la lutte, de la crainte et du désespoir, et aussi de la motivation d’agir ensemble, collectivement. Pour moi, We Shall Overcome fait partie du mouvement le plus puissant de ce pays, le seul non-violent.

C.I. : Vous avez fait partie de ce mouvement. Quelles impressions Martin Luther King vous a-t-il laissées ?

J.B. : Je me souviens surtout qu’il était drôle. J’ai vu des tas de films sur lui, mais on ne le voit faire le clown que dans un obscur documentaire. C’est comme cela qu’il a survécu, qu’ils ont survécu. La prière l’a aussi beaucoup aidé, mais c’est dommage que les gens aient si peu connu son côté comique. En même temps, je le comprends, car de par ses fonctions de pasteur et de prédicateur, il ne pouvait se permettre de se montrer sous cet angle. Il avait sa mission à accomplir et je pense que dans la société de l’époque, cela n’aurait peut-être pas été bien vu de se laisser aller. Je sais que c’est le sentiment que j’ai eu pendant des années à mon sujet. J’avais peur qu’on ne me prenne pas au sérieux dans mes activités politiques et humanitaires si on me voyait faire le clown.

C.I. : Votre intuition était certainement la bonne. C’est un peu triste de devoir mettre l’humour de côté pour être pris au sérieux. J’aurais adoré voir Martin Luther King faire le pitre.

J.B. : Oh oui, il était complètement humain, adorable. Personnellement, il m’a fallu des années pour admettre sa mort. Huit ans. Pour ses funérailles, j’ai dit : « Un enterrement. Pfft ! Je déteste les enterrements. Je vais écrire une chanson. »  

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[1] Interview extraite du livre d’entretiens de Catherine Ingram Dans les traces de Gandhi : La force de la non-violence, publié aux Éditions Dangles, collection « Spiritualités », 1998. (Éditeurs)

[2] On désigne généralement par tiers-monde les nations pauvres en voie de développent, comme l’Inde et le Pakistan, et par quart-monde les pays les plus pauvres qui ne sont pas encore en phase de développement économique, par exemple l’Ethiopie.

 

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