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Vérité

L'homme qui affirme haut et fort « posséder » la vérité est un homme dangereux ! Il n'a de cesse de pourfendre l'erreur et de pourchasser les infidèles, les hérétiques et les renégats. L'autre homme qui ne pense pas comme lui est un ennemi. Il se trompe et il doit être détrompé ; s'il refuse de se laisser convaincre, il faut le contraindre. Lorsque la vérité se fige en un savoir dogmatique, elle devient un facteur de division, de conflit, d'exclusion et de violence. L'idéologue laïc et l'intégriste religieux mènent le même combat inquisitorial contre les déviants, les dévoyés, les dissidents, les traîtres. L'un comme l'autre n'hésiteront pas à recourir à la violence pour qu'advienne la vérité. Ainsi, la vérité devient inhumaine et meurtrière : l'homme tue au nom de la vérité.

En réalité, ce sont l'idéologue et l'intégriste qui s'égarent et se dévoient. La vérité de l'homme n'est pas constituée par une doctrine dogmatique qui devient une arme pour aller faire la guerre aux autres hommes. Elle est, d'abord, l'objet d'une quête, l'accueil d'une requête. Elle réside dans une sagesse pratique qui requiert l'intelligence et la volonté pour construire, à travers les conflits eux-mêmes, une relation avec les autres hommes, fondée sur le respect et la bienveillance. Une telle relation exclut toute malveillance, toute violence. Dans sa quête de vérité, l'homme se heurte à de nombreux doutes. Mais sans même connaître la vérité, il apprend ce qu'est l'opposé de la vérité : le contraire de la vérité, c'est la violence qui meurtrit l'humanité. En ce sens, la non-violence fonde la vérité de l'homme. Cette vérité, nul ne peut prétendre la « posséder ». Chacun ne peut que s'efforcer de s'en rapprocher.

Dès que la vérité est conçue et perçue comme une idéologie qui existe extérieurement à l'homme, le rapport que l'individu établit avec la vérité est de même nature que celui qu'il entretient avec un objet. Il la possédera comme on détient une chose qu'on s'est appropriée. Il se considérera comme propriétaire de la vérité et se fera un devoir de la défendre comme on défend une possession. Il n'hésitera pas à recourir à la violence et, le cas échéant, à tuer pour défendre la vérité.

La vérité n'est pas extérieure à l'homme. Elle se trouve dans la relation vraie de l'homme avec l'autre homme, quel qu'il soit, fut-il un ennemi. Cette vérité se fonde sur la reconnaissance et le respect de l'humanité en tout homme. Elle veut s'affirmer avec l'ad-versaire et non plus contre lui. En ce sens, la non-violence opère un retournement dans la recherche de la vérité. La vérité de la non-violence s'éprouve, se vit, se construit dans la communauté des hommes. Cette vérité est indissolublement une pensée et une action. La pensée oriente l'action, et l'action met à l'épreuve la rectitude de la pensée.

À l'inverse d'une vérité idéologique se présentant comme un système d'idées abstraites fermé sur lui-même, détenu par mode de possession et qui prétend détenir l'explication du monde, la non-violence est essentiellement requête de l'esprit, exigence et expérience spirituelles. Dès que la vérité devient une idée abstraite à laquelle on confère un caractère absolu, on entre déjà dans une logique de violence. Si la prétention de la non-violence est intransigeante, c'est qu'il lui semble impossible de transiger avec la violence meurtrière. Si la non-violence apparaît intolérante, c'est que la violence est en effet intolérable. Comment pourrait-on légitimer le recours à la violence pour défendre la vérité quand on sait que toute violence blesse et meurtrit l'humanité, celle de celui qui la subit et plus encore celle de celui qui l'exerce ? La violence est bien réelle, actuelle, concrète, objective en de multiples situations ; elle peut parfois apparaître nécessaire, elle n'est pourtant jamais vraie. Elle fausse toujours la relation à l'autre. Ainsi, la vérité de la non-violence est exclusive : elle exclut toute démarche intellectuelle qui vise à légitimer l'homicide et à innocenter le meurtre. Mais, en même temps que l'homme non-violent refuse toute compromission intellectuelle dans l'ordre de la pensée, il peut être amené à accepter un compromis dans celui de l'action. Dans ce domaine, il est dépossédé de toute certitude pratique. L'action ne cesse d'inviter à la plus grande humilité.

Il faut aimer l'humanité plus que la vérité. Cela signifie que la vérité commence par l'amour de l'humanité. L'histoire est là pour attester – et l'expérience le confirme tous les jours – que « la vérité » devient un vecteur de violence dès qu'elle s'absolutise et n'est pas ancrée dans l'exigence de non-violence. Si la vérité n'implique pas la dé-légitimation radicale de la violence, le moment viendra toujours où la violence apparaîtra naturellement comme un moyen légitime pour défendre la vérité. La reconnaissance de l'exigence de non-violence permet de récuser une fois pour toutes l'illusion, véhiculée par les idéologies et tous les discours inspirés par le bon sens perverti et la sottise épanouie, qu'il serait nécessaire et juste de recourir à la violence pour défendre la vérité. Recourir à la violence, c'est d'emblée venir se situer en un lieu où la vérité ne peut pas être. On prétend servir et défendre « la vérité » par la violence, mais, en réalité, c'est « la vérité » qui sert et défend la violence. Dans cette alliance contre nature, c'est la violence, et non la vérité, qui se trouve confortée. Tout se passe comme si la vérité venait donner raison à la violence. La violence elle-même semble vraie. La violence est déjà victorieuse, elle a déjà imposé son ordre dès lors qu'elle a obtenu la complicité intellectuelle de l'homme. En réalité, la violence est une erreur. Est erronée toute doctrine qui prétend justifier la violence, c'est-à-dire faire de la violence un droit de l'homme. La violence entrave les processus de vérité qui peuvent être créés parmi les hommes.

On parle souvent de la « force de la vérité ». Quel peut être le sens de cette expression ? La violence se cache et s'abrite toujours derrière le mensonge. Elle a besoin d'une propagande qui sert à la justifier auprès de ceux qu'elle veut mettre à sa disposition. Ce qui fait la puissance de la violence, c'est l'obéissance de ceux qui la servent aux mensonges dont elle s'affuble pour se donner belle apparence et assurer son emprise sur les esprits. L'essence de l'idéologie de la violence est le mensonge. Le premier acte de résistance d'un homme libre est de refuser de se faire complice du mensonge et de s'efforcer de vivre dans la vérité. La force de la vérité, c'est de pouvoir démasquer le mensonge de la violence. En cela, déjà, elle l'affaiblit. En osant dire la vérité, le dissident ouvre une brèche dans l'encerclement totalitaire de la violence. Il n'est jamais vain de « dire la vérité ». Fut-ce à leur insu, la parole vraie d'un homme libre résonnera dans la conscience de ceux qui vivent dans le mensonge et éveillera peut-être leur désir refoulé de vivre dans la dignité.

Mais la vérité ne saurait contraindre celui qui ferme son intelligence pour lâcher la bride à son désir de violence. La force de la vérité est une force lente qui, dans l'immédiat, ne peut pas arrêter la puissance brutale de la violence. C'est pourquoi, dans les conflits sociaux et politiques, la vérité doit s'exprimer par l'action. La vérité s'ouvre alors un chemin à travers la force de l'action vraie, c'est-à-dire de l'action juste, à la fois dans sa fin et dans ses moyens. La force qui contraint ne peut être que le fruit de l'action, et l'efficacité de l'action est toujours conditionnelle, incertaine, limitée, relative. Cependant même lorsque l'efficacité de l'action non-violente atteint ses limites, la violence ne reprend pas pour autant ses droits et l'exigence de non-violence demeure vraie. Même si la violence apparaît nécessaire, elle n'en redevient pas pour autant légitime. Nécessité ne vaut pas légitimité.

La philosophie ose affirmer que la non-violence est l'expression de la vérité de l'homme, l'affirmation par l'action de l'universel en l'homme. C'est en réalisant dans son existence l'exigence de non-violence que l'homme accomplit en vérité son humanité en tant quʼêtre raisonnable, consciencieux et spirituel.

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